Depuis des années, vous êtes nombreux à commenter nos articles, à échanger à la Buvette. Nous vous en remercions. Pour enrichir ce débat, nous lançons aujourd’hui une nouvelle plateforme de débat « L’opinion du mardi », rendez-vous bimensuel, en alternance avec « L’interview du Jeudi » qui est de retour depuis la semaine passée. C’est le Diable Noir Guillaume Piron qui a accepté d’ouvrir le bal sur la fuite des jeunes joueurs belges en France.


(Photo Sportkipik.be)

Peut-on et doit-on retenir les joueurs qui partent en France ?
Cas extrêmement rare dans les années nonante, les départs des meilleurs espoirs belges pour le championnat français sont devenus monnaie courante. Si la volonté de jouer à un meilleur niveau semble évidente, la réussite n’est pas toujours au rendez-vous. La concurrence est acerbe dans les grands clubs français et cela peut avoir des répercussions pas uniquement positives sur certains joueurs. Ces départs ont également l’inconvénient d’appauvrir le championnat national, quand il ne discrédite pas, osent certains, la qualité de la formation belge. Pour y répondre, nous avons demandé à un Diable noir qui a réussi son pari. En effet, parti en cadet de Boitsfort pour Montpellier, champion de France Espoir avec ce même club en 2013, le Diable noir Guillaume Piron joue depuis à l’US Colomiers, en Pro D2. A noter qu’il, poursuit, en parallèle à sa carrière rugbystique, des études à l’INSA, une école d’ingénieur réputée de Toulouse. Fort de cette double casquette, il a accepté de parrainné la première promotion du nouveau sport-étude lancée par le BRC à l’instar d’autres clubs belges cet été.

L’OPINION DE GUILLAUME PIRON
La vraie problématique relève de savoir si le joueur doit ou ne doit pas tenter l’aventure car lui seul est maître de son destin.

Aspect moral
Avant toute chose, il est important de dire qu’un départ pour la France doit impérativement s’accompagner d’un double projet : sport mais surtout études. C’était la condition sine qua non en 2008 quand je suis parti et j’y crois encore plus aujourd’hui. A l’époque, Yves Ajac, Directeur technique national français, et intervenant régulier pour le Centre de la formation de la LBFR, nous incitait très fortement à passer le baccalauréat français pour ne pas partir sans diplôme aucun. C’est un point sur lequel il ne faut pas transiger car, et c’est la triste loi du sport, personne n’est à l’abri d’un accident. L’expérience nous montre, par la suite, que ce genre de périple n’est pas rose non plus. C’est un parcours souvent semé d’embuches, avec son lot de frustrations et parfois de désillusions. Ainsi, et il faut en avoir bien conscience, certains joueurs – heureusement ils sont peu nombreux – ont souffert de l’éloignement.
Toutefois, comme toute expérience, celle-ci a son lot d’inconnues et d’aventures. La découverte d’un nouvel environnement, avec ses codes, sa vision du rugby mais aussi le fait de se confronter à l’adversité, se dépasser, voilà autant de points qui la rende excitante ! Tout cela évidemment sans parler de l’accomplissement en lui-même que relève cette aventure : se prouver quelque chose ou encore porter le maillot des plus belles équipes de l’hexagone, c’est cela qui fait rêver les plus jeunes et c’est exactement pour cela qu’un jour on décide de partir.

Aspect sportif
Alors certes, un tel départ pourrait passer pour un abandon de la filière de formation en progrès constants, qui est celle de la Belgique, mais rien n’empêche ces joueurs de rentrer jouer pour les équipes nationales comme c’est souvent le cas.
Personnellement, de U17 jusqu’au Diables Noirs, j’ai toujours fait le maximum pour rentrer jouer pour mon pays, et cela a toujours constitué un plaisir, voire même un réel bol d’air par moment.


(Photo D.R.)

La Belgique peut-elle offrir le même encadrement que la France ? Les structures françaises ont pour la plupart à haut niveau (en centre de formation mais également dans les équipes de jeunes) un encadrement humain et structurel très en avance : deux entraîneurs, des responsables techniques, des médecins et kinésithérapeutes présents très fréquemment voire tout le temps mais aussi des terrains de bonnes qualités, un accès à des salles de musculation, des logements pour les meilleurs au centre de formation, etc. En outre, les intervenants sont souvent de qualités et la formation française a cet avantage d’avoir un recul sur le haut niveau et le professionnalisme, qu’il faudra un peu de temps à la Belgique pour acquérir. Être au contact de ces gens m’a énormément fait progresser dans de nombreux secteurs.
Enfin, et c’est la clé du propos, le départ pour la France permet au joueur de se confronter au meilleur niveau auquel il puisse postuler. Ce depart permet de ne pas rester éventuellement frustré dans un championnat qui pourrait le limiter. C’est en se confrontant à meilleur que soi qu’on progresse vraiment et c’est là tout l’enjeu : gravir les échelons tout en prenant du plaisir, car le rugby reste un jeu, il ne faut pas l’oublier.

Pour conclure, la formation belge prend du galon c’est indéniable et elle a besoin d’être encouragée. Moi-même je n’oublie pas que je suis issu du Centre de formation de la LBFR et que ce fut deux années vraiment extraordinaires. Le championnat belge lui aussi est clairement en évolution, ne serait-ce qu’au niveau des infrastructures, au niveau des entraîneurs qui se perfectionnent et cela est formidable. Mais ce qui est tout aussi indéniable, c’est que la formation française reste une des meilleures en Europe et dans le monde et qu’à mon sens personne ne peut empêcher un gamin de tenter de réaliser son rêve s’il est préparé à l’adversité. Enfin, cette formation sera bénéfique au joueur et à moyen terme aux équipes nationales et Diables Noirs.