Comment intervient-il dans le jeu ? Peut-il peser sur le jeu voire le favoriser ? Pour répondre à cette question, nous nous sommes tournés vers Nicolas Vandecauter. Bien connu des joueurs(es) belges, arbitre de plusieurs finales de championnat et de coupe tant en cadet, junior que, plus récemment, en sénior, Nicolas Vandecauter a la particularité d’être toujours licencié auprès de son club fétiche : Anderlecht où il évolue dans les trois-quarts et parfois en tant buteur.


L’OPINION DE NICOLAS VANDECAUTER

Un arbitre doit être considéré comme un facilitateur de jeu et non, comme disent certains, comme un directeur de jeu. J’entends par cela que nous sommes un élément du jeu mais que nous n’orientons pas celui-ci contrairement à un directeur, où cette connotation directive met en avant le fait d’orienter le jeu. Pour vous donner un exemple, un des facteurs principaux sur lesquels nous sommes évalués est le nombre de pénalités que nous avons eu à siffler lors d’un match et, lorsqu’on rediscute de cette évaluation avec nos différents coachs (et oui, nous aussi on a des coachs), le principal questionnement qui est abordé concerne ce qui aurait pu être mis en place pour diminuer ce nombre de pénalités sifflées. Partant de ce constat, on peut vraiment dire qu’un arbitre est présent sur le terrain plus pour améliorer la continuité et la fluidité du jeu, à l’opposé de l’arbitre de football qui a plus un rôle répressif et est, par définition, plus directif. En effet, je dirais que, sur un match de rugby, un arbitre siffle environ le quart des fautes qu’il observe. A partir du moment où la faute est constatée, il a la possibilité grâce à différentes formes de communication, d’indiquer au joueur d’arrêter son action et, si aucun ou peu d’impact est observé sur le jeu, de laisser le jeu se poursuivre en « triant » la faute pour utiliser notre vocabulaire. Un joueur « sanctionnable » n’est donc pas forcément sanctionné et c’est là que la part d’interprétation personnelle intervient. Chaque arbitre, de par son feeling, sa connaissance du rugby, son positionnement sur le terrain ou son ancien poste en tant que joueur va avoir un point de vue différent sur la même action. On le voit lorsqu’on travaille au sein de notre groupe de réflexion GN1. Certaines actions dérangent certains arbitres tandis que d’autres n’y voient aucune faute « sanctionnable ». La question des plongeons au niveau de la zone-plaqueur-plaqué, abordée lors de notre première réunion de cette saison, a été le théâtre de discussions autour de cas vidéo issus de la Bofferding Rugby League. Et force est de constater, que certaines choses que je ne sanctionnerais pas spécialement en match peuvent l’être par d’autres [1]. C’est, et j’en suis intimement convaincu, ce qui fait toute l’originalité et la beauté de notre sport (avec plein d’autres choses, soyons clair).




(Photo Sportkipik.be)

Par contre, il faut faire attention de ne pas tomber dans l’excès inverse. Je prends l’exemple des mêlées où, pour reprendre les termes de Francis De Molder, « Si le pilier tombe et que le ballon est déjà dans les pieds du n°8, les arbitres ne demandent pas à refaire la mêlée [2] ». J’adhère entièrement avec son point de vue et c’est celui que j’applique le dimanche car la mêlée doit rester une machine pour lancer le jeu et non pas pour récupérer des pénalités. Cependant, je pense qu’il est bon de rappeler que, ce qui prime dans notre fonction, c’est de veiller à l’intégrité physique des joueurs. On voit, à l’analyse vidéo, que notre positionnement et ce que nous observons majoritairement lors d’une mêlée, c’est le ballon et, une fois que celui-ci est propre, à peu près tout peut arriver du moment que l’on joue le ballon. Il n’est pas rare qu’une fois le ballon est disponible, la mêlée s’écroule. C’est agréable pour la continuité du jeu mais pas idéal pour l’intégrité physique des joueurs. On compare souvent notre jeu avec celui pratiqué au niveau professionnel mais il faut quand même prendre en compte un facteur important, si pas essentiel : aucun des joueurs que nous voyons à la télé ne doit se lever le lundi pour se rendre sur son lieu de travail. S’ils se blessent en championnat, leur métier comprend la rééducation ce qui est loin d’être le cas à notre niveau. Prenons l’exemple du demi de mêlée de Soignies qui s’est blessé très gravement sur une action anodine lors du match que j’ai arbitré contre Boitsfort. Il a non seulement fini sa saison, mais il met sa sécurité professionnelle en péril à cause de sa passion. C’est pour cela que nous essayons (et j’insiste sur le essayons) d’avoir un arbitrage plus préventif qu’au niveau professionnel, tant au niveau de la mêlée que du jeu ouvert car cela rendrait notre passion beaucoup trop dangereuse si nous devions adopter les mêmes pratiques au niveau des mêlées et des rucks.

A tout cela, il faut ajouter que le rugby professionnel doit offrir un rendu visuel afin que n’importe quel quidam qui le regarde à la télé ne soit pas choqué par un nombre élevé de mêlées refaites, de sanctions pas évidentes prises, etc… Prenons l’exemple des introductions pas droites en mêlée. Il est clair que les directives reçues par le panel World Rugby indiquent aux arbitres internationaux de ne pas sanctionner cela car on évite un grand nombre de fautes potentielles au niveau des mêlées car la sortie est accélérée. Je suis personnellement assez dérangé car la notion d’équité est oubliée, l’équipe en défense réduit considérablement ses chances de gagner la mêlée.

Depuis que j’arbitre, tous les changements de règle effectués par l’IRB (World Rugby actuellement) ont été dans le sens d’une amélioration de la continuité dans le jeu et une meilleure visibilité de celui-ci (touches rapides avec lancer pas droit, défense à 5m sur mêlées, ballon ramené dans les 22m, …). Nous-mêmes, en Belgique, avons reçu des formations (notamment en mai 2013 ave Philippe Marguin, FFR) sur la continuité dans le jeu. Les principales choses que nous avons pu ressortir de ces différents moments sont que l’esprit du rugby se repose, en plus de la continuité, sur les notions d’équité et de sécurité. Ce sont ces trois notions que nous essayons de mettre en valeur le dimanche et ce, je l’espère, pour que les joueurs développent au maximum leurs possibilités et que les spectateurs puissent avoir une bonne lisibilité de ce qui se passe sur le terrain.

Mais, j’aime rappeler que oui, nous sommes là pour aider à la continuité du jeu, mais les principaux acteurs du match, ce ne sont ni les arbitres ou les entraineurs mais bien les joueurs. C’est pour eux que je continue à prendre mon sac le dimanche et c’est leur niveau technique qui permet une amélioration de la continuité. Diminuons les en-avant de moitié et le temps de jeu effectif augmentera et, par conséquent, la continuité également. La technique individuelle des joueurs s’est beaucoup améliorée ces dernières années et, par conséquent, cela a permis l’éclosion d’arbitres de qualité qui ont une bonne compréhension du jeu, celui-ci étant suffisamment fluide pour le permettre. Ces dernières années, les exigences demandées aux joueurs ont fortement augmenté et il est donc normal qu’il soit demandé plus aux arbitres. Je le comprends tout à fait. Cependant, notre évolution vers plus de continuité dans le jeu ne m’empêchera pas de continuer à mettre en avant la sécurité des joueurs car nous avons une pratique amateur qui est vraiment très éloignée des réalités vécues par les professionnels. Revenons sur un événement récent : la Coupe du Monde. Qualifiée de coupe du monde du jeu par les différents analystes, on peut également constater que cette orgie de jeu a eu un coût élevé sur la santé des joueurs engagés avec un nombre record de joueurs blessés et ce, souvent gravement. C’est exactement à cela que je ne voudrais pas qu’on arrive au niveau amateur où nous nous trouvons. Un nombre élevé et croissant de blessures me ferait remettre en question ma manière d’arbitrer.

Je conclurai donc sur cette phrase qui, à mon avis, est le credo de pas mal d’arbitres en Belgique : « d’accord pour offrir de la continuité dans le jeu mais pas au prix de la santé des joueurs ».


1.Pour la sécurité de tous, il a été choisi d’être particulièrement attentif sur cet aspect du jeu et de sanctionner tout joueur qui plonge volontairement pour empêcher toute forme de contest adverse tant en attaque qu’en défense.
2.De Molder F. :Interview du jeudi 3 décembre 2015. sportkipik. be