Ce samedi 26 avril, des milliers de personnes en situation de handicap ont convergé vers le salon Reva, organisé au Flanders Expo de Gand. Sous les verrières lumineuses, des centaines d’exposants présentaient des innovations pensées pour faciliter la vie quotidienne des visiteurs du jour. Tout était parfaitement structuré, clair, inspirant, et respirait la volonté d’améliorer l’inclusion. Un monde parfait où des solutions sont proposées pour presque tous les problèmes liés à l’handicap… Un monde trop parfait pour être vrai.
Là où tout était ordonné et bienveillant, dans ce salon dédié à adoucir la vie des personnes handicapées, les joueurs de rugby fauteuil du RCLH, eux, sont venus rappeler que vivre c’est aussi foncer, tomber, se relever - sans pour autant marcher - et refuser la douceur tiède de leur simple survie, dans le monde réel, lui qui est pensé uniquement pour les personnes valides.
Ce jour-là, au salon Reva, tous les fauteuils roulants n’avaient pas le même destin. Certains, lustrés sous les projecteurs, exposés à la perfection comme des produits de luxe qu’ils sont, attendaient bien sagement de signer des contrats. Et puis, il y avait les autres. Les cabossés, renforcés, blindés pour tenir bon sous les chocs qu’ils allaient se prendre toute la matinée et qu’ils encaissent depuis tant d’années.
C’est dans ces chars de guerre, abîmés comme eux, que les joueurs de rugby fauteuil du RCLH allaient disputer leur tout premier match.
Sept ans d’entraînement pour certains.
Sept ans de plaisir, de passion — n’en déplaise à ceux qui pensent que le bonheur ne peut se cueillir que debout.
Mais aussi sept années de doutes, à se demander s’ils étaient vraiment des joueurs de rugby fauteuil, ou de simples imposteurs.
Leur adversaire du jour ? Les Wapper Giants, emmenés par ceux qui avaient porté l’équipe nationale belge aux Jeux paralympiques de Londres en 2012– une équipe disparue depuis.
Dans les premiers échanges, il n’est pas difficile de deviner qui a déjà joué au plus haut niveau et qui fait face à ses idoles. L’intimidation des passes parfaites. La précision paranormale des déplacements. Les chocs qui brisent n’importe quel espoir d’élan. Le souffle déjà coupé alors qu’il reste tout à jouer. Le RCLH n’est pourtant pas dans les cordes. Même si le score et les corps disent l’inverse.
Les minutes défilent aussi vite que ces sept années passées à s’entraîner au Centre Sportif Solvay de La Hulpe. Le match est à sens unique jusqu’à ce qu’une action, comme à l’entraînement, permette au RCLH de marquer le premier essai de son histoire. Pourtant, il n’y a pas de célébration collective, il n’y a pas d’encouragements qui pourraient ressembler à “Allez les gars ! On continue comme ça, on en met un deuxième !”. Il n’y a pas de blagues à la con, ni de tape dans la main ou sur l’épaule, comme à l’entraînement.
Il y a trop d’émotions pour que ça explose. Sept ans avant de pouvoir marquer son premier essai, validé par un arbitre officiel… Il faut encaisser cette injustice maintenant qu’elle est terminée. Il faut aussi célébrer sa mort. Mais le match reprend déjà.
Les Wapper Giants répondent directement, accentuant plusieurs fois leur avance.
Mais rien ne pourra effacer ce premier essai du RCLH. La confiance revient. Les automatismes aussi. Et avec eux, les blagues à la con, les rires, les encouragements, comme à l’entraînement. Tout revient.
Le match se termine sur le score de 22-29 en faveur des Wapper Giants. Un score sans appel. Mais ce n’est pas ce qu’on retiendra. On retiendra les conseils glissés durant tout le match par les adversaires du RCLH. On retiendra les sourires francs, les regards, le respect entre les différentes équipes. On retiendra ces joueurs paralympiques brouillant les couleurs pour rééquilibrer les forces. Ce n’était pas un match de coupe du monde. Ni même un match de championnat de Belgique. C’était un match dans un salon d’information sur le handicap. Un match hors du monde réel. Un match qui faisait croire, l’espace d’une heure trente, que les personnes handicapées avaient, elles aussi, droit au sport. Au respect. À la normalité.
Ecrit par Thierry Michels
Pour le staff, Florent, Laurent, Christophe, Monique, Nicolas & Alain
Et pour les joueurs, Seb, Ben, Marian, Dim, Line, Djenabou, Claude, Gustavo & Geoffroy
(Photos RC La Hulpe)