L’Interview du Jeudi, par Alain Bloëdt

Dans l’Opinion du Mardi, Guillaume Piron évoquait l’exode des jeunes joueurs belges en France. (Relire l’Opinion du Mardi) Tu es également allé dans l’Hexagone il y a plusieurs années. Est-ce-que parfois tu repenses encore à ton passage à Perpignan ?
Oui mais comme un bon souvenir, une chouette expérience, plus prise comme une année à l’étranger.

Des regrets ?
Non, pas spécialement quand je vois à quel point c’est le marché au bétail en France. Je suis bien en Belgique, l’esprit patriote. C’est mieux comme cela.

Et aujourd’hui, quel conseil donne le coach Bertrand Billi à ses joueurs qui souhaitent partir ?
Soit il est le meilleur en Belgique, il a été au-dessus de tout le monde toute la saison et oui, il a raison de partir car il aura sa chance. Mais si un club français propose 125 euros par mois sans appartement à un petit jeune avec un peu de potentiel, je lui dis qu’il va se faire avoir et servir de remplaçant toute la saison avec un match par-ci, par là.

Que pourrait faire la Belgique pour garder ses jeunes ?
On ne parle plus de sportif mais de politique. Quelle est la priorité ? Le championnat ? Les équipes jeunes nationales ?

Qui doit trancher ?
Je suggère l’organisation d’assises du rugby. Nous ne sommes pas pressés. Asseyons autour de la table ceux qui font, ceux qui ont du pouvoir, pas juste ceux qui parlent. Et on se penche avec des échéances olympiades de 4, 8 ans pour déterminer ce qu’on fait, où l’on va car c’est à partir de l’objectif que l’on se définit. La Belgique, c’est un petit pays et on est partout en 2 heures, donc il y aura bien moyen de trouver une salle pour se réunir.


(Photo Sportkipik.be)

Parlons de ta carrière. Tu es passé par Mons, Boitsfort avant de poser tes valises à Soignies. Tu vas y terminer ta carrière de joueur ?
Quand on me le demande, j’ai l’habitude de dire sur le ton de la boutade que je suis trop cher.

Un titre de champion, c’est ce qui manque au palmarès de Soignies. Vous êtes candidats ?
Oui nous sommes candidats au titre avec les autres grosses équipes.

Qui sont-elles ?
Clairement se détachent ASUB et Dendermonde.

Pourquoi ?
L’ASUB est en avance en terme cohésion et structuration d’équipes et Dendermonde est en avance par la qualité de ses recrues et son organisation.

Et Soignies ?
On commence tout doucement à les copier en terme d’organisation et de précision. Quant à la qualité, il y a un peu plus, à Soignies, de folie, d’insouciance.

Cela vous fait parfois rater des finales ?
Mais cela nous y amène aussi.

Justement, tu te souviens sans doute de cette finale contre Boitsfort, précédée d’une interview du jeudi d’Alain Limbos avec un commentaire spécial à l’égard de votre adversaire (NDLR : « Soignies, dans ses gênes, a un jeu de combat, d’affrontement, de défi physique et cela ne convient pas à Boitsfort qui est plus dans un jeu de soutien, de lignes arrières et compagnie »). (Relire l’ITV du Jeudi d’Alain Limbos) Comment le groupe avait vécu la sortie de son coach dans la presse ?
(Il sourit) On s’était dit que nous allions devoir assumer d’être les maîtres du combat Finalement, on s’est fait bousculer. On ne pensait pas que ce serait aussi dur. On n’a pas su enclencher la marche avant. Bien joué Boitsfort.

D’après toi, était-ce une erreur d’Alain Limbos ou un choix stratégique ?
Il n’y a jamais d’erreur quand on s’exprime avec sa vraie nature.

Cela démontre au-delà, et par le ressenti de Boitsfort que le rugby est un sport extrêmement mental ?
C’est un sport à gestion d’émotion humaine. Emmanuel Descamps (NDLR : entraîneur de Boitsfort au moment de cette finale de Coupe de Belgique) a su transformer des bites numériques sur un écran d’ordinateur, en énergie supplémentaire pour le match.

Soignies vise cette saison le doublé ?
Oui, nous visons la Coupe et le Championnat et au moins les carrés dans les deux compétitions. Moins, ce serait une déception. Plus, ce serait avec plaisir.

Tu cumules beaucoup dans le club de Soignies : directeur technique sportif et surtout entraîneur-joueur. Dans un staff copieux de cinq entraîneurs, est-ce-nécessaire de demander à un joueur de cumuler ?
Oui, cela peut l’être dans le cadre des ambitions de l’équipe 1. Je suis en effet moins présent dans les apprentissages des fondamentaux qui concernent plus de joueurs de l’équipe 2. Je suis plus dans l’accompagnement vers le haut niveau. Je ne fais que transmettre ce que j’ai reçu par mes études universitaires (NDLR : Education physique à Louvain-la Neuve), l’équipe nationale et les différentes influences que je reçois.

Thibaut André est dans la même situation que toi. Comment les autres joueurs vous perçoivent-ils ?
C’est un groupe insouciant sur le terrain mais intelligent en-dehors. Avec Thibaut, nous sommes plus les capitaines de soirées qui acceptent de ramener leurs potes morts sous. Nous nous soucions que tout se passe bien.

T’es payé par le club ?
Essentiellement défrayé, car c’est 4 à 5 déplacements chaque semaine.

Parmi tes compétences, tu transmets ta connaissance de la touche. La Coupe du monde vient de s’achever. On est frappé par le fait que certaines équipes, parfois, ne cherchent pas à contrer. Comment l’expliques-tu ?
Ça va tellement vite qu’il faut décider avant. Soit on a un magicien qui arrive à lire très vite et ses deux porteurs s’occupent uniquement de lui. Soit on saute en zone.


(Photo Sportkipik.be)

Est-il toujours aussi pertinent, chez les jeunes, que le premier sauteur saute systématiquement pour gêner le lanceur adverse ?
C’est pertinent en fonction du lanceur. Je connais des lanceurs, qui pourraient sauter toute l’après-midi, cela ne leurs feraient ni chaud, ni froid. D’autres, un gars qui fait simplement sauter, c’est déjà trop pour eux !

Même au plus haut niveau, il y a du déchet chez les lanceurs. Comment l’expliques-tu venant du haut niveau ?
On parle de finesse de l’empreinte digitale de la main sur la balle, de maîtrise du ballon mais cela nous rappelle qu’ils sont humains. Ils cherchent parfois à éviter le contre et préfèrent sans doute que le ballon lobe l’adversaire plutôt qu’il soit intercepté.

Qu’est-ce-qui différencie le niveau pro du niveau de la Première division belge ?
La vitesse d’exécution mais au-delà du temps qu’ils y passent, il faut les qualités athlétiques de déplacement et de force.

Improvise-t-on parfois au haut niveau ?
En général non et quand ils essaient, ça foire très souvent. Ensuite, il y a deux écoles. Soit, on annonce avant, on y va et on peut changer si on repère quelque chose. Soit on se place et on l’annonce pendant.

T’es plutôt touche réduite ou touche complète ?
Cela dépend de nos forces et qualités mais il faut faire preuve d’alternance. Après, si on a de très bons ¾, autant leurs libérer l’espace et faire des touches complètes mais aussi, pourquoi pas, faire une feinte avec des avants qui ont décrochés.

Sur les touches défensives, tu sautes ou tu écroules le maul ?
Personnellement, il faut y aller. Je préfère prendre une balle en l’air, c’est beaucoup plus facile que de devoir contrer un maul d’autant plus que les équipes en Belgique sont performantes dans ce secteur.

Ta position reste la même à 5 mètres de ta ligne d’en-but, tu cherches le contre en l’air ?
Oui, tout le temps.

Ce n’est pas le cas des équipes nationales mais comment stopper un maul pénétrant ?
Ce n’est pas évident d’autant plus que des équipes réalisent des faux-mauls.

Qu’est-ce-qu’un « faux maul » ?
Un maul qui dure 3 secondes puis qui se barre. Ce sont les Africains du Sud qui l’ont lancé. Le fait de se mettre en position maul induit les adversaires à y aller mais au même moment, le joueur s’échappe.

Et pour ceux qui jouent plus traditionnellement, que recommandes-tu pour les contrer ?
Il y a deux écoles. Pour les équipes qui aiment bien y rester, faire un bloc au centre pour encourager l’arbitre à les forcer de jouer. Pour celles qui sont plus dynamiques, il faut multiplier les courses pour désagréger le maul.

Si cela dépend de l’équipe adverse, comment t’y prends-tu au niveau belge ?
Dendermonde, je crois qu’il faudrait désaxer, foutre le bordel ; inversement, contre Kituro, il faudrait rester en bloc et éviter qu’ils décalent. Mais il faut avoir les armes pour contrer toutes les conditions du match car aucun maul, de toute façon, n’est jamais le même.


(Photo Sportkipik.be)

Tu joues dans les équipes nationales à 7 et 15. Selon toi, quelle influence a le Seven dans le rugby à 15 ?
Je pense déjà à tout ce qui est défense-contrôle, c’est-à-dire accepter de perdre du terrain dans une situation critique pour se faire aider de la ligne de touche, bref, arriver à moins se faire déborder.

Et en terme de qualité individuelle, qu’est-ce-que le Seven développe ?
C’est visible dans plusieurs domaines. On voit les joueurs sauter beaucoup plus haut qu’avant. Les transmissions de balles s’améliorent ainsi que les appuis et la vitesse.

Est-ce un coup de vieux ou un coup de jeune pour le XV ?
Ni l’un, ni l’autre mais le XV, c’est plus une dynamique de jeu. Au Seven, il y a deux fois moins de joueurs, donc nous sommes deux fois plus importants. Chaque joueur ne peut plus faire qu’une passe pivot. Il est plus responsable et on en revient aux fondamentaux du joueur telles que les passes.

Comment parvient-on à enseigner à des jeunes qui savent déjà jouer au rugby l’apprentissage des passes ?
Le problème des passes, c’est que cela s’enseigne essentiellement à l’échauffement. On leurs dit prenez un ballon et faites 3 tours de terrain. Elles sont faites n’importe comment, en trottinant à froid mais si on parvient à l’enseigner à travers des situations intéressantes avec un peu de défi et de difficulté. La passe dans ce cas cas-là devient un défi dans la qualité d’exécution.

Devrait-on intégrer le Seven dans la formation du quinziste ?
Les plus anciens ne seront pas d’accord avec moi mais concentrons-nous sur la formation du joueur, pas la formation de l’équipe.

Qu’entends-tu par là ?
Il faut que la formation soit plus individualisée, il faut gommer les défauts des joueurs pour qu’ils ne soient plus des freins de l’équipe. Le Seven enseigne, dans ce sens, la conscientisation du joueur. Je paie ma cotisation, j’enfile mes crampons et je veux m’améliorer. On va s’occuper de lui et pas de l’équipe immédiatement alors que pendant longtemps, on compensait les petites erreurs par le courage.

C’est effectivement une autre approche !