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Quand née cette idée ?
Il y a trois ans. J’allais régulièrement avec une amie aux matchs de rugby. A force d’y aller, je m’apercevais qu’il y avait des femmes un peu partout assises. Je me suis dit : pourquoi ne pas se réunir, faire quelque chose autour du rugby et vivre les matchs ensemble.
Vous semblez très passionnée par ce sport ?
Quand je vais voir un match, j’ai envie de me lâcher. C’est 80 mn de bonheur, de stress qui s’en va après une semaine de travail. Je suis donc allé voir des femmes qui étaient là et elles ont toutes accueillies l’idée positivement.
Pourquoi le rugby et pas la natation votre sport à l’origine ou le football, le sport familial ?
C’est parce qu’il y a plus de jeu, plus de réflexion, des règles à apprendre pour comprendre le jeu et la puissance.
Visez-vous toutes les femmes présentes au stade en commençant pas les joueuses ?
Non car ce que nous vivons en tant que supportrice, les joueurs le vivent déjà en tant que joueuses. Nous sommes plus sur une typologie de femmes de plus de 30 ans, avocate, chef d’entreprise, présidente d’association, porteuses de projets… qui ont beaucoup de pression et qui connaissent peu le monde du rugby.
Qu’est-ce-que leur apporte cette activité ?
Elles relâchent la pression et elles s’éclatent encore plus que moi. Elles se lâchent sans jugement.
Dites-vous cela parce que vous considérez qu’une femme ne vit pas le rugby de la même façon qu’un homme ?
Oui. Quand on est entre femmes, nous avons la possibilité de nous exprimer plus facilement, littéralement de nous lâcher. Quand on est deux, on n’ose pas. Quand on est dix, cela ne nous dérange pas.
A quand une association en Belgique des supportrices des Diables Noirs ? (Photo Sportkipik.be) |
Alors comment se lâche une femme au rugby ?
Comme un homme. Pire qu’un homme. On a envie de crier, de dire « poussez, poussez, poussez ». Personnellement, j’adore quand ils se mettent des caramels. J’aime bien faire les « ouhhhh ». Je vibre, je soutiens mon équipe. Quand je parle de l’équipe, je dis pas « ils », je dis « nous avons gagné ». Entre femmes, nous pouvons aussi lancer des vannes sur les joueurs dont le côté physique, bien sûr, attire également.
Cette attitude vous semble-t-elle interdite en présence d’hommes ?
Non mais finalement comme les hommes, on se permet de faire des choses qu’on ne se permet pas dans la vie de tous les jours. On peut dire tout et n’importe quoi, comme des enfants. On vibre. C’est intense. Une belle touche c’est magnifique, une mêlée même si certaines ne saisissent pas toutes les règles : ça impressionne !
Vous décrivez les stéréotypes traditionnels du supporter ?
J’assume. J’ai assisté plusieurs fois à des matchs seuls. J’avais le même comportement exalté mais on me faisait des remarques
Quels genres de commentaires avez-vous essuyé ?
C’est une femme, elle ne comprend rien au rugby. Par contre, les mêmes réactions exprimées par dix femmes et nous n’avons plus de commentaires ! C’est donc plus facile et plus agréable. Ensuite, moi ce que je voulais, c’était partagé ma passion, tout simplement
Vous êtes vous inspirez d’associations existantes au football, basket-ball ou handball ?
Non. Je suis la seule en fait.
Vous l’expliquez comment ?
Par les valeurs du rugby comparées au football : respect, intégrité, convivialité, esprit d’équipe, engagement et sécurité, ce qui est très important en tant que femme. Vous pouvez aller à un match de rugby, seule, il ne pourra rien vous arriver. Un match de foot, c’est plus compliqué.
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Vous citez l’intégrité, quel est la lien avec le rugby ?
Disons que les joueurs que je connais sont intègres. L’argent n’est pas primordial.
Peut-être parce que l’argent n’est pas encore aussi présent qu’au foot ?
Mais ces valeurs ils veulent la garder. Ils ne veulent pas se vendre.
Vous semblez surtout réunir des membres qui ont des responsabilités au niveau professionnel. Pour quelles raisons ?
Parce que nous avons fait une prestation VIP, du sur mesure, du confort mais cela se paie. Je peux avoir des places à 5 euros mais j’ai envie que les membres de l’association, comme toutes les femmes en général, soient chouchoutées, mises en avant.
C’est possible de vous demander le coût ?
Oui, c’est 75 euros le match. Donc on y va sur des matchs importants.
Ce n’est pas accessible pour toutes les femmes …
Il y a des services en retour. Par ailleurs, nous soutenons des projets : le développement d’une équipe féminine, un centre de rugby au Sénégal et des jeunes qui souhaitent participer du Tournoi des capitales.
L’association « Notre rugby au féminin » est-elle interdite aux hommes ?
Non tout d’abord parce que la législation française ne l’autorise pas et parce que nous avons deux joueurs ambassadeurs, issues du Racing. Les hommes peuvent bien entendu adhérer mais les prestations qui sont offertes comme d’accéder à un centre de manicure après le match ne vont certainement pas les inciter à cotiser….
Derrière votre projet, on sent aussi de faire du réseau, de connecter le rugby et l’entreprise. Quelles passerelles identifiez-vous entre ces deux mondes ?
Le ruck est un beau symbole : c’est un point d’accroche pour partir, avancer. Monter et faire vivre une entreprise tous les jours, c’est un combat ! Nous avons des organisations similaires avec des employés, des cadres, un chef mais, ce qui manque, au monde de l’entreprise, c’est l’esprit d’équipe.
Qu’est-ce-qui vous a le plus étonnée dans le développement de ce projet d’association ?
J’ai été surpris de la difficulté d’entrer dans le monde du rugby en tant que femme et porteuse de projets.
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Que voulez-vous dire ?
J’ai passé des heures et des heures de soirée à présenter le projet, à faire du forcing. Il a fallu que je pousse, je pousse, je pousse. L’idée était toujours bien reçue mais pour le suivi… Il faut tout le temps être présent.
Ce que vous racontez ici, n’est-il pas propre à tout lancement de projet en général ?
Je vais vous prendre un exemple. Je devais faire une présentation devant une trentaine de personnes et devant, au premier rang, j’avais un ami qui est dans le monde du rugby depuis des années. Il me dit : « Ludivine, super ton idée qui tombe en plus très bien car le rugby est entrain de s’ouvrir. » Une personne, à côté, réagit et déclare que le monde du rugby est encore un peu macho. Mon ami répond : « Non, non, non le rugby n’est plus macho, on s’ouvre aux femmes. » Quinze jours après, il m‘invite en VIP dans son club de fédéral pour une présentation. Nous étions deux femmes sur vingt personnes ! Je vais voir mon ami et lui dit : « Tu as raison, vous n’êtes plus macho. ». Voilà, c’est cela qui est compliqué. L’idée se développe car c’est une femme qui l’a eu mais ils attendent qu’on fasse nos preuves !
Cette attitude reflètent-elle la société dans laquelle l’on vit, d’après vous ?
Je n’entre pas dans le débat homme-femme. Mais oui, quand on va dans des soirées rugby haut de gamme, il n’y a que des hommes. Les femmes ne sont pas admissibles donc là, effectivement, ça devient un problème. Même si j’admets, que les femmes ne sont pas systématiquement au courant de ce type de soirée.
Les femmes par contre sont de plus en plus nombreuses dans les stades.
(elle me coupe) C’est relatif. Au niveau du Top 14, c’est environ 20% du public. Le sport attire les femmes mais elles ne vont pas spécialement se déplacer pour aller voir un match.
Quelle est la statistique pour le Sud de la France ?
Effectivement, cette moyenne varie d’une équipe à l’autre et dans le Sud de la France, il y a plus de femmes contrairement à l’Ile de France.