L’Interview du Jeudi, par Alain Bloëdt

Est-ce exact que tu as commencé le rugby pour parler anglais ?
Mon épouse qui était ballerine au Ballet contemporain de Bruxelles participait au festival de danse d’Arles. Je l’avais accompagné et j’ai rencontré sur place le mari britannique d’une Suissesse, présente elle aussi dans le ballet. Je souhaitais améliorer mon anglais. Il m’a convaincu de le suivre au rugby en me disant qu’il jouait avec des expatriés anglophones et qu’après l’entraînement, l’équipe s’attardait au bar.

Combien de temps as-tu joué au rugby ?
Une petite décennie officieusement mais 4-5 ans officiellement. Chez les Britanniques, cela n’existait pas la licence. On jouait sous sa propre responsabilité. En Belgique, il y avait une licence mais je n’ai jamais passé la visite médicale obligatoire pour l’obtenir, j’ai donc joué sur un grand nombre d’identités usurpées, quand on m’appelait pour remplacer un joueur absent.

C’était qui les grands joueurs du championnat belge ?
Ne me demande pas cela, je n’ai pas la mémoire des noms, ce qui est embêtant surtout pour un homme politique !

Justement, à l’époque, tu n’étais pas encore devenu le Bourgmestre bien connu de Bruxelles. Que faisais-tu ?
J’étais professeur de langue germanique, de philosophie et cours de morale. C’était rigolo, car j’arrivais le lundi dans des états un peu scabreux, soit parce que la 3ème mi-temps s’était éternisée, soit parce que les chocs avaient été violents.

Partages-tu l’opinion des anciens qui racontent que le rugby d’antan était plus rugueux ?
Oui et je pense notamment aux joutes contre l’Armée britannique, des joueurs brutaux, rugueux mais pas à la française. Ils ne cherchaient pas forcément à casser le nez du type en face mais à rentrer en force.

Gardes-tu des souvenirs particuliers de cette période ?
Je pense à cette double confrontations contre l’équipe du bateau, qui s’était fait couler par les Argentins (NDLR : acte de la guerre des Malouines qui opposa le Royaume-Uni à l’Argentine en 1982). Le premier match a lieu avant. Le second, après. On pouvait constater qui avait disparu dans leur équipe. Une grande émotion !

A quel poste jouais-tu ?
Pour les Anglais, j’étais trop court pour jouer 2ème ligne, j’ai donc été déplacé au poste de pilier. Ce qui était comique avec les Britanniques, c’est qu’il n’y avait pas d’entraînement technique à l’exception de la scrum machine. La majorité, en effet, avait reçu leur formation rugbystique au Collège.

Gardes-tu un bon souvenir des séances de joug ?
Disons qu’il y avait la scrum machine et puis les gars qui montaient sur la scrum machine. C’était solide à pousser ! Mais c’était gai. On apprenait la bonne posture.


(Photo Sportkipik.be)

Le Seven tu n’as pas dû essayer ?
Si, si, deux fois mais je n’étais pas bon du tout ! Par contre, j’ai accompagné le 7 plusieurs fois à Dubaï. Les Brussels Barbarians qui associent les jeunes joueurs et les Vétérans de l’ASUB et de Boitsfort.

J’y suis allé aussi. Quelle expérience !
Oui mais je suis écœuré par l’hypocrisie du monde arabe. L’interdiction soi-disant de l’alcool dans un stade construit par les Arabes, pour les Arabes, et puis, une fois l’enceinte du stade franchie, tu trouves du whisky, de la bière et du vin.

Peut-être un mirage ?
Qui sait ! Mais de la même façon, il y a le voile d’un côté et des prostituées dans les hôtels de l’autre.

Tu n’as jamais vraiment quitté la famille du rugby ?
Non et je suis fier que ma génération et la suivante reconnaissent que j’ai toujours fait l’effort de donner un coup de pouce pour le rugby à l’instar de McClintock (NDLR : entraîneur des Diables Noirs de 2004 à 2014) qui l’a rappelé dans le discours qu’il a prononcé, à la suite de son intronisation en tant qu’Officier de l’Ordre de la Couronne, en septembre dernier.

Ce ne devait pas être simple d’appuyer le rugby, sport encore méconnu ?
Effectivement et je regrette que la Ville de Bruxelles ait foiré complètement et scandaleusement une opportunité de construire un terrain. Malheureusement, mon parti n’était pas le premier parti bruxellois à l’époque.

Que s’est-il passé ?
La Ville possédait un terrain extraordinaire le long du canal. Il y avait une somme d’argent attribué à la reconstruction du terrain. Le parti chrétien démocrate (NDLR : actuellement CDH) a détourné l’agent du rugby pour le football ! Je ne l’ai jamais digéré.

Quelle équipe aurait occupé ce terrain ?
Les Diables Noirs mais, l’ASUB (Association sportive de l’Université de Bruxelles), aurait pu l’adopter car il y a toujours eu un lien très fort entre l’ULB et la Ville de Bruxelles. L’ASUB est une création de la Ville, mais à travers des personnes qui n’étaient pas directement des politiques de la Ville de Bruxelles. Ils n’avaient pas de terrain et en cherchaient un, avec un club house. Finalement, ils ont opté pour Waterloo.

Je suis certain que tu as un souvenir plus positif de ces années ?
Je me souviens d’une demande d’interview des pages sportives du journal Le Soir. Je demande à l’administration des Sports de m’amener un ballon de rugby. Puis, je ne sais pas ce qui me prend, alors que je les loupais toujours lamentablement, je tente un drop dans la salle gothique de l’Hôtel de Ville. Philippe Close (NDLR : ancien rugbyman, actuellement Echevin à la Ville de Bruxelles et Député régional) me dit "Mais tu es fou !"


(Photo Sportkipik.be)

On te sent amoureux de l’ovalie ?
Un exemple qui résume bien, pour moi, la culture de ce sport. Je me retrouve confronté à un début de bagarre à Strasbourg, avec un de mes collaborateurs, à cause d’une fille qu’il regardait de trop près. Je me dis que le gars en face de nous – qui est le copain de la fille – est un rugbyman. On s’est mis à parler rugby et il n’y a pas eu de bagarre. Mais j’ai bien fait comprendre à mon collaborateur qu’il fallait qu’il s’écarte un petit peu ! Parler rugby change les règles dans la vie quotidienne, dés que la partie en face y a joué . Il n’y a pas cela au football.

La professionnalisation du rugby ne met-elle pas en danger cette particularité ?
Alors qu’on sait que la plupart des joueurs sont des professionnels, le changement ne s’est toujours pas actionné chez les fans. On peut se mélanger sans le moindre complexe. Entre Béziers et Perpignan, alors que les clubs sont en concurrence, les spectateurs n’ont pas le comportement des amateurs de football.

Comment l’expliques-tu ?
J’ai ma propre théorie. Au foot, on est frustré d’une violence qui est totalement interdite, que l’on ne peut théoriquement pas faire mais, que l’on voit sur le terrain. Au rugby, on se rentre dedans. On est peut-être frustré par le résultat, mais pas par le jeu, même lorsque l’arbitrage est biaisé.

C’est vrai pour le joueur mais en est-il de même pour le spectateur ?
Oui, je le crois car on perçoit d’une autre manière la technique du jeu et la façon dont le jeu se déroule. Si on doit plaquer, le contact se fait. Ce qui est comique, même les bagarres de terrain ne se continuent que rarement dans les vestiaires. Moi, je ne l’ai jamais connu. Le match terminé, dans les vestiaires et au club house, il y a une vraie fraternité.

Et on l’oublie parfois, c’est sans compter l’arbitre, beaucoup plus respecté au rugby ?
Je me rappelle d’un match, chez nous, où un Australien, un peu nerveux, avait bousculé l’arbitre. Il a été éjecté à vie du rugby mais il croyait qu’en Australie, à son retour, cela ne se saurait pas. Qu’est-ce-que c’est que la Belgique en terme de rugby ? Mais, revenu sur place : « out ». Les deux fédérations avaient communiqué ! Au rugby, il y a une volonté de respecter l’arbitre car si on laissait la violence aller jusque l’arbitre, cela pourrait prendre une autre forme que la violence du football.

Tu as du suivre les résultats de Kituro en Coupe d’Europe. Loin d’avoir démérité, ils ont pu constater la différence de niveau. La solution ne devrait-elle pas venir d’une équipe bruxelloise qui fusionnerait les clubs de la Capitale pour jouer les matchs de Coupe d’Europe ?
En-dehors des fiertés d’équipes, on devrait pouvoir organiser une équipe bruxelloise. Si on veut arriver à un niveau de qualité suffisant pour être compétitif, nous ne pourrons pas y arriver sur base d’un seul club. Cela n’empêche pas de conserver sa fidélité à son club, comme cela se passe avec l’équipe nationale.
Si je puis m’exprimer ainsi :Pour que Bruxelles soit compétitrice, il faudrait une équipe nationale bruxelloise pour jouer la Coupe d’Europe des clubs.

Le climat tendu au niveau des dirigeants belges, notamment à la Fédération n’est-il pas un frein à de telles évolutions ?
J’ai l’impression que ces derniers temps, nous avons fait un pas au-delà de ce qui était nos petites habitudes étroites d’avant.

Dernière question, verra-t-on un jour Freddy Thielemans, Président de la FBRB ?
Cela m’aurait plu. J’ai été déçu d’avoir été éjecté parce que je n’aurais pas eu le temps de m’en occuper. Je sortais de mon mayorat, j’avais le temps !